Les bottes de protection

Le confort à la botte de la sécurité

Tiré vers le haut de gamme par le polyuréthane, le marché de la botte de sécurité est encore dynamisé par l’innovation, en termes de protection et de confort. Un atout à l’heure où les contraintes d’une production vertueuse pour l’environnement se font plus pressantes.

L’été tire doucement sa révérence et laisse place à un refrain entêtant : « Du mois de septembre au mois d’août, faudrait des bottes de caoutchouc, pour patauger dans la gadoue, la gadoue, la gadoue, la gadoue » … Des paroles écrites par Serge Gainsbourg en 1966 à l’attention de Petula Clark, une chanson reprise trente ans plus tard par Jane Birkin et surtout un hymne que fredonnent tous les spécialistes des équipements de protection individuelle (EPI) à l’approche des pluies d’automne. C’est à cette époque que s’animent les ventes de bottes de travail et de sécurité dans leurs linéaires, même si la plupart des grands donneurs d’ordre des secteurs de la construction, du BTP, de l’industrie – notamment agroalimentaire – ou de la chimie ont pris l’habitude de passer commande plus tôt dans l’année, souvent par le biais d’appels d’offre. Les plus gros volumes de ventes ne sont pas faits en magasin, mais sur des marchés grands comptes, jamais en vente directe, toujours par le biais de distributeurs. Le monde agricole, lui, grand consommateur de bottes également, s’adresse plus généralement aux libres-services agricoles (lisa) qui proposent une offre de bottes de protection de mieux en mieux construite à la mesure des jeunes générations d’exploitants qui ne se contentent plus de bottes de chasse ou de loisirs pour exercer leur profession, contrairement à leurs ainés.

Iso 20 347 et 20 345

Aujourd’hui, qu’elles soient en cuir, en polychlorure de vinyle (PVC), en polyuréthane (PU) ou en caoutchouc, une botte professionnelle est normée. Au côté de la norme Iso 20 347 qui confère à la botte de travail ses caractéristiques minimales, c’est-à-dire essentiellement une semelle avec un grip important, antidérapante ou antiglisse (SRC) et anti-chocs, dite d’absorption d’énergie au talon, 90% des bottes commercialisée au rayon EPI répondent à la norme Iso 20 345. Dotées d’un embout (ou coque) de protection de l’avant du pied contre les chocs et l’écrasement résistant à une pression de 200 joules et d’une semelle antiperforation résistant à une force statique de 1 100 newtons minimum, elles sont qualifiées de bottes de sécurité. 

Plus concrètement, le bout des bottes de sécurité a vocation à résister à la chute d’un objet de 20 kilos d’une hauteur d’un mètre et leur semelle doit résister à la force générée par une personne de 80 kilos en marche, mettant le pied sur une pointe à tête tronquée d’un diamètre de 4,5 millimètres. Et ce ne sont pas là leurs seules qualités, puisqu’en plus d’être antidérapantes et antichocs au talon, leur semelle est résistante aux huiles, comme aux hydrocarbures, et antistatiques, tandis que leur partie supérieure est déperlante et imperméable. C’est ce qu’imposent les normes dites S3 + WR et S5 : les bottes ont la particularité d’être hydrofuges et ne craignent pas l’immersion. Les plombiers, les chauffagistes et les ouvriers de la construction et du BTP en font l’expérience chaque jour, tout autant que les opérateurs de l’industrie agroalimentaire.

Différents besoins

Pour eux, la botte, c’est le pied, la protection du pied. L’assurance, surtout, qu’ils garderont les leurs au sec en toute sécurité. Tous, ou presque, sont convaincus de leur impérieuse nécessité dans le monde du travail. À cet égard, les opérations de sensibilisation aux bonnes pratiques, menées régulièrement par les organismes de gestion du régime de protection sociale obligatoire des personnes salariées, tant auprès des employeurs qu’auprès des utilisateurs de bottes, ont touché au but. De concert avec eux, les fabricants de chaussures de sécurité et de bottes en particulier, souvent en partenariat avec leurs clients distributeurs, partagent leur expertise. Car, au-delà de la sécurité au travail, la plupart des leaders du secteur se font fort de commercialiser des produits confortables, esthétiques, colorés et au design travaillé. Inspirés par le sport, l’outdoor et les tendances de la mode, les fabricants veulent séduire les professionnels en bousculant les codes. Certains — trop peu encore — développent même des modèles spécifiquement adaptés à la morphologie du pied féminin. À l’heure où les femmes sont de plus en plus présentes dans des secteurs d’activité où on ne les attendait pas, le marketing segmente plus finement les besoins. 

« Aujourd’hui, c’est le salarié qui décide », commente Yves Mulat, consultant et responsable en France de la commercialisation des produits de l’entreprise belge Bekina Boots, spécialiste de la botte en polyuréthane. « Dans le cadre des EPI, nous travaillons au confort et aux meilleures conditions de travail du salarié. Il y a certes ce qui est demandé par la médecine du travail, mais pas que. Dans les métiers de l’agroalimentaire où l’on travaille à la tâche, à la chaîne, en trois-huit, les industriels se sont rendu compte que pour garder leurs salariés, il vaut mieux qu’ils soient bien équipés, qu’ils n’aient pas froid aux pieds, de la même manière qu’ils ne doivent pas avoir froid aux mains. Dans le bâtiment, c’est un peu pareil, les entreprises n’ont pas forcément le budget pour augmenter les salaires, mais une charge fixe comme les frais d’EPI va augmenter au profit des salariés, pour qu’ils œuvrent dans de bonnes conditions et qu’il soient présents chaque jour sur le chantier. C’est tout bénéfice pour l’employeur : lorsqu’un salarié travaille dans de meilleures conditions, il sera également plus efficace et plus performant ».

Plus forte valeur ajoutée

De fait, le marché de la botte de sécurité est lié à l’évolution du marché des équipements de protection individuelle et on y trouve évidemment des produits à plus forte valeur ajoutée qu’il y a vingt ans. Depuis plusieurs années, les fabricants montent en gamme à grand renfort d’innovations. Ils sollicitent leurs bureaux d’études, leurs laboratoires de recherche et de développement et leurs bancs de tests pour vérifier la qualité de leurs nouveautés, autant que pour mettre à l’épreuve les références de leurs concurrents. Tout spécialement celles des importateurs qui inondent le marché de produits à très bas prix sortis d’usine d’Europe de l’Est ou de Turquie. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, il n’y a encore que très peu de bottes de sécurité, notamment injectée, en provenance d’Asie sur le marché français, car le coût du transport demeure fort important au regard du coût de revient global du produit, étant donné que la fabrication, très automatisée, nécessite peu d’opérateurs.

En Europe, eu égard à un nombre d’acteurs encore très concentré, les opportunistes et les aventuriers, autant que les nouveaux venus, passent ainsi au scanner du regard avisé des vieux briscards qui voient d’un mauvais œil les certificats de conformité trop vite accordés, selon eux, à des entreprises spécialistes de la sous-traitance dans des pays où la main d’œuvre est peu rémunérée. C’est que l’innovation coûte cher ! La mise au point de nouveaux matériaux, la CAO 3D, l’avènement de nouvelles technologies de production, la robotisation des chaines de production notamment chez les spécialistes de la botte en PVC ou en polyuréthane, quant à la pulvérisation de démoulant sur les moules d’injection ou la pose d’intercalaires anti-perforation, poussent les leaders du secteur à singulariser leur production. Chez le fabricant hollandais Dunlop, on ne parle plus depuis déjà plusieurs années de polyuréthane, mais de Purofort^®. Et chez Bekina Boots, le Neotane^® est à l’honneur. L’un et l’autre, à travers des formulations chimiques particulières et souvent spécifiques à chaque produit, sont partis à la conquête de marché à plus forte valeur ajoutée avec des bottes plus souples, plus légères, thermo-isolantes et, par définition, étanches pour lutter contre une habitude d’achat tenace en France, surtout dans la construction et le BTP : la botte en cuir fourrée.

« Ces deux leaders tiennent quasiment 70% du marché des produits professionnels et se différencient par la stabilité de leur polyuréthane, qui, à la base, est une matière liquide », affirme Yves Mulat. C’est, selon lui, la stabilisation du polyuréthane qui fait qu’une botte est plus ou moins durable. Ainsi, bien qu’également fabriquées en polyuréthane, les bottes que proposent certains importateurs auraient une durée de vie trois fois moins importante que celles qui sortent des moules d’injection des sites de production de Dunlop ou de Bekina Boots. Soucieux de cartographier le cycle de vie de ses bottes, le fabricant belge intègre même une étiquette RFID à chacune d’elles lors de leur production. 

Marché mature

Positions établies, potentiels identifiés, objectifs définis : le marché de la botte de sécurité est mature. En 2021, d’ailleurs, à l’occasion de la dixième édition de la Semaine de l’industrie, la Fédération française de la chaussure affichait un optimisme de sortie de crise. « Après une décélération de l’activité en 2020, en raison de la crise sanitaire mondiale, le marché de la chaussure de sécurité s’inscrit aujourd’hui sur une dynamique positive », expliquait-elle dans un communiqué. « Les industriels profitent de la reprise de l’activité économique et de la bonne tenue du niveau de l’emploi en France. Sur les huit premiers mois de l’année 2021, la production de chaussures de sécurité connaît ainsi une progression à deux chiffres, soit + 11%, par rapport à la même période un an plus tôt. Qu’il s’agisse de bottes ou de sabots, la chaussure de sécurité représente une production annuelle d’environ 2,5 millions de paires. Une spécialité qui concerne aujourd’hui une douzaine d’entreprises industrielles en France, la majorité optant pour le Made in France et réparties en région Nouvelle-Aquitaine, mais aussi dans les Pays de la Loire, en Provence-Alpes-Côte-d’Azur, en Auvergne-Rhône-Alpes, en Normandie, en Alsace ». Ajoutons qu’aujourd’hui les bottes de sécurité en polychlorure de vinyle et en polyuréthane tiennent le haut du pavé. La tendance serait favorable au polyuréthane qui grignoterait chaque année des parts de marché sur le PVC, comme sur le caoutchouc.

Reste une problématique commune à l’ensemble des bottes de sécurité, qu’elles soient en cuir, en caoutchouc, en PVC ou en polyuréthane : contrairement à une chaussure haute à lacets, une botte traditionnelle ne tiendrait pas suffisamment la cheville et exposerait son utilisateur à des risques de chute de plain-pied… Du coup, quand bien même il est reproché à la botte en cuir de n’être pas assez étanche et à la botte en matériau injecté de n’être pas suffisamment respirable, les fabricants s’ingénient à mettre au point, avec des moyens de haute technologie, des produits d’une grande technicité, même si celle-ci peut ne pas être immédiatement décelable au premier abord. Comme le confie Fabrice Acconci, country manager France chez Dunlop « C’est en allant voir l’utilisateur et en lui faisant essayer nos produits que nous allons convaincre. Il y a aujourd’hui de véritables technologies au service du confort et de la protection. Face à de nouvelles générations plus réceptives à la sécurité, il nous faut donner envie, expliquer, évangéliser ! » 

La botte à lacets séduit

Aux plus farouches détracteurs de la botte en cuir — les spécialistes de l’injection PVC et PU, évidemment !—, qui assurent que les peaux pleine fleur sont d’un autre temps, trop lourdes aux pieds et sans totale étanchéité, le spécialiste alsacien de la chaussure de sécurité Lemaître affirme, lui, par la voix de Jean-Pierre Boutonnet, son directeur commercial, que la botte cuir a de beaux jours devant elle. « La botte cuir fourrée représente encore d’importants volumes de vente. Elle a toujours eu la préférence chez les gens du Bâtiment, parce qu’elle est plus agréable à porter qu’une botte en élastomère, PVC ou polyuréthane, dans laquelle le pied ne respire pas. Elle est facile à enfiler, facile à retirer et peut être utilisée dans de nombreux métiers de façon saisonnière, car elle répond parfaitement à des épisodes de froid. Les ventes de nos bottes fourrées sont concentrées sur l’hiver. Et même si l’hiver dernier n’a pas été une grande année pour ce produit, puisqu’il n’a fait froid que pendant une quinzaine de jours, dès les premiers flocons nous avons eu des demandes assez assez soutenues. »...