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octobre 2020

Les chaussures de sécurité

Innovation, look et qualité de service

La sécurité des personnes portant des chaussures précisément dites ‘‘de sécurité’’ adaptées aux risques encourus dans le cadre de leur activité professionnelle étant assurée par le port de produits respectant les exigences des normes en vigueur, les acheteurs ont ainsi tout loisir de se focaliser sur les autres critères d’achat majeurs que sont, si l’on excepte le prix, le « look » de la chaussure et le confort qu’elle offre, cette dernière recherche étant tout à fait légitime pour qui garde cet epi au pied parfois tout au long de la journée. Pour satisfaire les attentes de professionnels de secteurs divers, les départements Développement produits des marques du marché concentrent leurs efforts sur ces deux points clés, sans oublier de toujours renforcer l’aspect sécuritaire des produits, chaque acteur cherchant à se démarquer pour gagner ou conserver des parts de ce segment de marché des EPI particulièrement atomisé.

Les troubles musculaires squelettiques (TMS), les risques chimiques et les chutes dans le BTP sont donnés par l’Assurance maladie comme les trois causes principales des accidents du travail, lesquels représentent plus de 40 millions de journée de travail perdues chaque année, avec les conséquences économiques et humaines qui s’ensuivent. En contribuant à diminuer sensiblement l’occurrence des chutes ainsi que celle des TMS, le port d’une chaussure de sécurité adaptée à son activité peut, dans une large mesure, permettre de réduire ce chiffre. 

Aujourd’hui sans grand rapport avec un concept de chaussures importé des Etats-Unis en France au lendemain de la seconde guerre mondiale par les pionniers du marché hexagonal Jallatte et Gaston Mille, les chaussures de sécurité qui doivent répondre aux exigences de la norme EN ISO 20345:2011 pour être commercialisées sur les différents marchés de la communauté européenne protègent, en fonction de leurs certifications, des risques majeurs que sont la perforation de la plante du pied par un objet coupant ou pointu, l’écrasement des orteils provoqué par une chute d’objet(s) et la glissade. Pour conclure cette introduction, on rappellera qu’il convient de ne pas faire la confusion entre les chaussures de sécurité auxquels est dédié ce dossier et les chaussures de protection, deux catégories d’epi répondant à des normes différentes. 

Un epi aux nombreux composants  

La fabrication intégrale des chaussures de sécurité a déserté depuis d’assez nombreuses années les ateliers français pour des raisons de coût mais aussi, selon l’avis de certains experts, à cause d’un manque de main d’œuvre qualifiée (particulièrement en ce qui concerne la tige des chaussures).  

La fabrication de ces epi requiert de multiples opérations, dont de nombreuses restent manuelles. Les phases principales en sont les suivantes : la découpe sur des presses de différentes pièces de cuir ou d’un autre matériau puis leur assemblage par piqûre pour composer la tige ; l’assemblage de cette dernière à une semelle dite première de montage sur une Strobel (du nom de la machine utilisée pour ce type piqûre) ; le positionnement manuel de la coque protégeant les orteils ; l’assemblage (manuel ou automatisé) de la semelle extérieure (dite d’usure ou de marche) et de la semelle intermédiaire sur la tige ; le positionnement éventuel d’une semelle anti-perforation et, dans quasiment tous les cas aujourd’hui, le positionnement d’une semelle dite de propreté, au contact du pied. 

La chaussure de sécurité est donc un produit dont la fabrication, relativement longue, fait appel à des composants nombreux et de natures diverses.  

La rupture technologique de l’injection 

Concernant la semelle d’une chaussure de sécurité, le composant le plus technique du produit, plus de la moitié des chaussures seraient équipées d’une semelle injectée, une proportion qui atteint souvent 80% d’une gamme, voire plus chez certaines marques. 

Les progrès apportés par les chimistes au polyuréthane, la matière la plus utilisée dans cette technologie, explique en grande partie le succès que connaît le procédé de l’injection qui présente de nombreux avantages. La robustesse de l’assemblage semelle/tige et la palette des matières injectables aujourd’hui disponibles (et sur lesquelles nous reviendrons) contribuant à améliorer le confort et l’esthétique des chaussures méritent d’être cités du côté technique. L’automatisation possible de la fabrication des semelles extérieures et intermédiaires grâce à ce procédé d’un coût modéré (ne serait-ce les investissements nécessaires à l’implantation de carrousels d’injection) a quant à elle permis le maintien en France, voire la relocalisation, d’une partie de la fabrication des chaussures pour différentes marques.  

Les atouts des autres procédés 

En dépit de la forte domination des semelles injectées, les autres procédés d’assemblage entre la tige et la semelle restent appréciés dans certaines applications. 

Ainsi, l’assemblage par piqûre simple ou double, une technique traditionnelle garante d’une robustesse élevée mais d’un coût qui l’est également (il nécessite en effet de nombreuses opérations manuelles), reste en usage pour certaines chaussures à tiges en cuir, une matière dont on évoquera les avantages dans un autre chapitre. 

Les semelles collées (ou soudées) à la tige qui dominaient sur le marché avant l’essor de l’injection, ont elles aussi des atouts et notamment celui de la finesse et le fait qu’elles peuvent être déclinées dans des matières diverses, deux caractéristiques qui font des chaussures à semelles collées des epi capables de répondre à l’attente du marché en produits lookés. Elles sont toutefois dotées d’une faible résistance à l’abrasion et aux produits chimiques et d’une capacité d’absorption des chocs nettement inférieure à celles des semelles injectées. 

Utilisée pour la fabrication des pneumatiques, la vulcanisation qui consiste schématiquement à compresser une bande de caoutchouc sur la tige se distingue par sa résistance à une chaleur très élevée. Autrefois très nombreuses dans certains secteurs comme l’industrie lourde et les TP, les chaussures à semelles vulcanisées équipent toujours certains professionnels et notamment les soudeurs. 

Pour clore nos propos consacrés aux modes d’assemblage semelle/tige, nous rapporterons quelques pourcentages représentés par ces différents procédés sur l’offre globale de certains fabricants. Ainsi et à titre d’exemples, pour les marques Uvex et Heckel regroupées au sein du même groupe, l’injection représente globalement 80% de l’offre, les autres procédés se partageant la partie restante. Toutefois, les chiffres varient beaucoup selon la marque et, concernant plus particulièrement la vulcanisation, Jean Doyen, chef de produit France pour Uvex et tous marchés pour Heckel, indique un pourcentage de l’ordre de 5% chez Uvex et de 50% chez Heckel, « Une marque qui a introduit les semelles vulcanisées dans le domaine de la sécurité ». Chez Gaston Mille, un pourcentage similaire des modèles à semelle injectée sur l’offre globale est annoncé tandis que chez Jalas (la marque de chaussures du groupe suédois Ejendals), les semelles seraient pour ainsi dire toutes injectées, à l’exception de quelques modèles à semelles collées. Sur les 150 à 200 chaussures les plus vendues dans l’offre de Lemaitre Sécurité, seuls deux ou trois modèles à tige cuir ont une semelle cousue, les semelles soudées ne concernant plus qu’un modèle destiné aux soudeurs et une gamme « sport » inspirée de la mode.  

Des matières qui marchent fort 

Comme évoqué plus haut, l’utilisation pour la fabrication des semelles de chaussures de sécurité du polyuréthane (lequel a succédé à un autre polymère, le PVC, quasiment tombé en désuétude dans cette application) a boosté le volume des semelles injectées. La déclinaison de cette matière en mono-densité (PU) ou en double densité (PU/PU ou PU2D) – cette dernière version permet de superposer une semelle d’usure de densité élevée offrant résistance à l’abrasion et adhérence au sol et une semelle intermédiaire de densité plus faible, pour plus de souplesse et de confort – ayant encore conforté le succès de cette matière qui resterait aujourd’hui encore le standard du marché en matière de semelle. 

« Le polyuréthane injecté résulte souvent d’un partenariat entre marques de chaussures de sécurité et acteurs de l’industrie chimique, lesquels interviennent surtout dans la formulation du PU, plus ou moins complexe selon le cahier des charges et les caractéristiques souhaitées en fonction du domaine d’utilisation des chaussures » explique Jean-Pierre Boutonnet, directeur commercial France de Lemaitre Sécurité qui indique également que les conditions climatiques des pays où sont implantées les machines de fabrication peuvent également entrer en ligne de compte dans le choix de la formulation.

Pour répondre aux attentes des utilisateurs en matière de confort, de légèreté, d’esthétique et de solidité, la gamme des matières d’injection des semelles s’étend à d’autres polymères et élastomères comme le TPU (polyuréthane thermoplastique) et le nitrile, un caoutchouc synthétique très utilisé pour les semelles d’usure pour sa grande résistance à l’abrasion et à la chaleur par contact. 

La tige en synthétique poursuit son ascension   

Lorsqu’il s’agit de travailler dans l’humidité ou d’être en contact avec des matières abrasives, le cuir s’impose pour la tige de la chaussure, parfois même en version pleine fleur dans certaines applications spécifiques comme par exemple les enrobés, car il est dans doute la seule matière à posséder certaines caractéristiques indispensables à une protection efficace du pied dans certains environnements. 

Autrefois largement dominant dans le monde de la protection du pied, cette matière naturelle a eu au fil des années de plus en plus maille à partir avec les matières synthétiques, la montée en puissance de ces dernières s’accélérant avec l’arrivée de nouvelles matières rendant les chaussures de plus en plus résistantes, confortables et « lookées ». 

Les produits à tige cuir représenteraient encore environ une moitié du volume du marché des chaussures de sécurité, toutes origines, tous types de cuirs et tous modes de distribution confondus. Le brodequin basique en croûte de cuir est toujours très répandu, notamment dans l’industrie et, à l’autre extrémité de la gamme, le cuir pleine fleur demeure toujours recherché d’utilisateurs pour ses qualités de respirabilité et de confort. 

Concernant la robustesse des tiges, Jérôme Bobinet, directeur commercial France d’ISM (marques Puma et Albatros) estime que « L’ensemble des chaussures fabriquées par les marques reconnues sur le marché sont équipées de tiges résistantes, quelle que soit la matière ou le mélange de matières qui les composent. » Un avis corroboré d’une certaine manière par les propos de Nicolas Mille, président de Gaston Mille : « Avec les microfibres, le marché a trouvé une alternative au cuir qui dominait autrefois chez Mille comme chez de nombreuses autres marques et le recours à ces matières techniques et esthétiques, aux qualités équivalentes à celle du cuir et en outre plus intéressantes du côté des marges, représente une tendance marquée du marché. » Un avis totalement partagé par J.P Boutonnet de Lemaitre Sécurité pour qui cette tendance est même l’une des plus fortes de la décennie écoulée sur le marché qui nous préoccupe dans ce dossier ainsi que, du moins en partie, par le chef produits chaussures d’Uvex Heckel qui, faisant référence à l’offre de son groupe évoque deux grandes catégories de tiges « celles en microfibres, dont la croissance est  soutenue par la tendance sport en vogue et qui est particulièrement représentée dans l’offre en chaussures S1 et S1P d’Uvex et celle des tiges en cuir, une catégorie choisie dans certains secteurs d’abord pour sa bonne résistance à l’eau et surtout présente pour l’équipement des chaussures Heckel certifiées S3 ». Chez Jalas, pour citer ce dernier exemple, « Même s’il existe des chaussures en cuir dans la gamme, les tiges en matière synthétique dominent largement, et particulièrement celles en microfibres tricotés, une tendance réelle suivie par des fabricants de plus en plus nombreux » explique Nathalie Volpato, responsable marketing d’Ejendals France. Cette tendance est relevée par d’autres fabricants dont Gaston Mille, le président de cette entreprise parlant de « textiles en maille 3D (mesh) qui permettent d’obtenir des pièces d’un seul tenant pour des tiges comportant peu ou pas de coutures et offrent la possibilité de réaliser des impressions, par collage ou par transfert » et citant parmi les autres qualités des microfibres la souplesse et la légèreté. 

Garder les pieds sur terre 

Les attentes diffèrent selon les catégories d’utilisateurs. Ainsi, nombre d’artisans venant choisir leurs chaussures de sécurité chez leur distributeur accordent une grande importance  au confort et au look des chaussures tandis que les acheteurs des entreprises auront souvent tendance à privilégier le critère du prix. Toutefois, la gestion du risque semble de plus en plus prise en compte par tous dans le choix d’un produit dont il faut garder présent à l’esprit qu’il est d’abord un epi dont la vocation première est de préserver des risques et, en tout premier lieu de la glissade. C’est pourquoi le grip d’une chaussure (sa capacité à adhérer au sol) reste parmi les premiers axes de recherche des fabricants, souvent menée en partenariat avec des spécialistes comme on l’a déjà mentionné. Plusieurs facteurs déterminent ce grip dont la conception de la semelle et son dessin, le type de crampons et autres renforts et, bien sûr, la matière utilisée, un sujet lui aussi déjà abordé dans un chapitre spécifique. 

Pour aborder les avancées les plus récentes dans ce domaine, on peut évoquer le lancement récent ou à venir de chaussures équipées de semelles résistantes aux températures extrêmes. La semelle Vibram en caoutchouc HNBR (nitrile butadiène hydrogéné) qui équipe des chaussures Jalas résiste à de très basses températures grâce à des pastilles thermoréactives faisant fondre le verglas. Equipant certaines chaussures Lemaitre, la semelle Vibram « Ice & Fire » en caoutchouc nitrile et PU est formulée, comme l’indique son nom emprunté à l’anglais, pour résister à des températures extrêmes, froides comme chaudes. 

Amorti et rebond gagnants

L’amortissement des chocs au talon provoqués par la marche est une problématique majeure des fabricants qui y apportent une réponse à travers l’utilisation de matières performantes à cet égard comme l’EVA (éthylène-acétate de vinyle) – une matière qui s’est déjà imposée dans l’univers du running –et le TPU (polyuréthane thermoplastique). Dans nombre des technologies développées à cet effet, l’absorption du choc réalisée par la dissipation de l’énergie produite est suivie d’un effet rebond anti-fatigue grâce à la restitution d’une partie de l’énergie (dans certains cas plus de la moitié) rendue possible par le recours à certaines matières utilisées sur tout ou partie de la semelle ou encore via des inserts positionnés entre les semelles d’usure et intermédiaire. Il peut s’agir de matières traditionnelles comme le caoutchouc nitrile ou d’apparition plus récente comme l’E-TPU (polyuréthane thermoplastique expansé) qui cumule les deux fonctions d'absorption des chocs et de restitution d’énergie. Apparues il y a environ cinq ans, les technologies (déposées ou pas) visant à restituer une partie de l’énergie, développées par les marques elles-mêmes ou avec les partenaires déjà évoqués, équipent aujourd’hui les semelles de chaussures de marques nombreuses comme vous pourrez vous en rendre compte en découvrant les modèles présentés dans ce dossier parmi lesquelles Jallatte (J-Energy), Vismo (NRG 55), Uvex (I-PUREnrj), Puma  (Effect.Foam)… Certains fabricants se sont surtout concentrés sur l’amortissement des chocs. C’est notamment le cas de Jalas dont l’ensemble des chaussures est équipé de série d’un double système d’amortissement des chocs grâce à une semelle intermédiaire ou semelle de propreté munie d’inserts en Poron-XRD®, une matière à grande faculté de résilience qui neutraliserait 90% des chocs avec, en outre, un stabilisateur en ABS positionné au cœur de la semelle d’usure. Ce dernier agit comme un décompresseur de chocs en dissipant les impacts sous le talon tout en guidant le pied dans son déroulé naturel.  

Plus de bien-être au travail 

Au cours d’un passé récent, si certaines améliorations ont porté sur la protection (par exemple celle des métatarses chez Gaston Mille ou l’existence de renforts anti-torsion chez Puma), la très grande majorité a porté sur le confort des produits, une préoccupation légitime quand on sait que certaines personnes peuvent dans certains cas (plate-forme logistique, atelier de production industrielle…) parcourir jusqu’à 15 kilomètres dans une journée de travail, qui plus est en piétinant, comme le rapporte Nathalie Volpato (Jalas/Ejendals). Ainsi, le travail des services R&D des fabricants se concrétise notamment par une augmentation régulière du confort des produits en adéquation avec la prise en compte croissante de la notion de bien-être dans les entreprises et celle, de plus en plus répandue parmi les responsables des achats, du bien-fondé d’équiper les collaborateurs de chaussures confortables… Même si, comme le remarquent plusieurs fabricants, cela reste un vœu pieux pour certains qui restent d’abord à la recherche d’un prix, « Un raisonnement dont la pertinence économique n’est pas évidente si l’on considère que la durée de vie d’un produit de qualité médiocre est inférieure à celle d’un produit plus qualitatif (et bien sûr plus cher) et entraînera un renouvellement plus rapide » comme on le dit chez Jalas, sans même évoquer l’aspect valorisation du personnel via un équipement de qualité qui peut jouer son rôle dans la paix sociale d’une organisation. 

Le confort d’une chaussure de sécurité, qui a à voir avec l’ensemble de ses composants (les différentes semelles, les matières utilisées, les accessoires de protection, le système de fermeture…), se traduit notamment par la souplesse et la légèreté du produit. Dans ce dernier domaine, les progrès ont été constants et certaines chaussures montantes sont passées sous la barre des 500 grammes et dépassent...

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