Les chaussures de sécurité
L’éco-conception emboîte le pas du confort
Protection, confort, look, la chaussure de sécurité poursuit sa marche vers de nouveaux horizons en intégrant désormais les exigences du développement durable, en témoigne l’arrivée d’un nombre grandissant de produits éco-conçus dans les gammes. L’enjeu est crucial pour cet EPI, difficilement recyclable à cause de ses nombreux composants. La sécurité n’est pas oubliée, avec la nouvelle version de
la norme EN 20345 qui renforce de nombreuses exigences.
Avec sa quarantaine de composants et une fabrication qui comprend une bonne part d’opérations manuelles, la chaussure de sécurité subit de plein fouet le cortège de maux désormais bien connus des marchés depuis la crise sanitaire et la guerre en Ukraine : difficultés d’approvisionnement sur certains matériaux, hausse du coût des matières premières, de l’énergie ou encore des transports, détérioration de l’euro face au dollar qui pénalise certaines matières achetées sur les marchés internationaux comme le cuir… Bref, la chaussure de sécurité n’échappe pas au tourbillon inflationniste qui contribue à faire exploser les prix de revient des fabricants, ces derniers ayant bien du mal à répercuter dans leur intégralité les hausses auprès des distributeurs et des utilisateurs finaux. En outre, les industriels ont dû augmenter fortement leurs stocks pour se prémunir au maximum des risques de rupture. « Malgré l’impact des hausses de matières, nous avons fortement augmenté nos stocks de matières premières. Pour continuer à assurer le service, nous avons donc une immobilisation financière sur nos stocks très importantes depuis trois ans » explique Jean-Pierre Boutonnet, directeur commercial France de Lemaitre Sécurité. Ce que confirme Jean Doyen, chef de produits Uvex-Heckel. « Nous essayons d’anticiper les difficultés d’approvisionnement en prenant un peu plus de risques d’achat. Cette situation nous a incités aussi à être plus rationnels sur notre approche de gamme, quitte à délaisser certains produits, et à recentrer nos investissements sur des modèles à volume ou innovants. La gamme Heckel par exemple a été renouvelée à 50% sur ces deux dernières années. »
Une demande stable
Pas d’euphorie donc sur le marché de la chaussure de sécurité, estimé autour de 6 millions de paires pour environ 220 millions d’euros. Il est considéré comme stable, la dynamique actuelle reflétant surtout une certaine reprise après les fortes baisses enregistrées lors de la crise sanitaire. Evidemment, les confinements successifs, voire le télétravail, n’ont pas encouragé l’achat de chaussures de sécurité et différé les renouvellements. Ainsi, la demande n’a guère évolué par rapport à 2009. « Plus d’un million et demi d’emploi ont été détruits en une décennie » rappelle Jean-Pierre Boutonnet. Cette perte a été tout juste compensée par un taux d’équipement plus fort, avec un nombre grandissant de professionnels mieux protégés sous l’influence d’une plus forte sensibilisation des jeunes générations dans les centres de formation et la mise en marché de modèles plus séduisants. « Compte tenu de la difficulté à recruter, les employeurs ont pris conscience que le salarié a besoin d’être bien dans ses EPI et donc de porter des chaussures confortables. C’est aussi une façon de le valoriser » observe Nicolas Mille, P-dg de Gaston Mille. « Un salarié qui a mal aux pieds, tout lui est pénible. »
Une mission de protection
Certes, la mission fondamentale de la chaussure de sécurité n’a pas changé. Elle doit prévenir les traumatismes au pied tels que les perforations, écrasements et lacérations ou encore des blessures liées à des glissades, faux mouvements et autres chutes. Chaque année, les lésions au pied représentent environ 7% des accidents du travail. « Ces deux catégories de blessures ne couvrent cependant pas l’ensemble des maux de pieds reliés au travail. D’autres problèmes sont fréquents chez les travailleurs, comme les callosités, les ongles incarnés ou tout simplement la fatigue des pieds. Bien qu’on ne puisse pas considérer ces inconvénients comme des accidents professionnels au sens strict, ils peuvent avoir des conséquences graves sur l’hygiène et la sécurité au travail. Ils causent de l’inconfort, de la douleur et de la fatigue. Or, la fatigue prédispose le travailleur à des blessures pouvant toucher les muscles et les articulations. En outre, un travailleur qui éprouve de la fatigue et ressent de la douleur est moins alerte et risque davantage de commettre des maladresses susceptibles de causer des incidents de toutes sortes » préviennent les centres d’hygiène et de sécurité au travail. Les experts de la catégorie soulignent de leur côté que les chaussures de sécurité doivent être choisies en fonction des risques présents dans le milieu de travail pour assurer la protection requise contre les risques connus : semelles adaptées aux conditions du sol de travail, protection contre les chocs, coincements, écrasements, perforations ou piqûres dans l’industrie mécanique ou dans le BTP par exemple, contre les contacts électriques et les décharges électrostatiques, ou encore contre les liquides corrosifs, les hydrocarbures dans le chimique, contre les températures extrêmes et intempéries… Sans oublier, les risques qui sont liés à l’action, aux déplacements de l’utilisateur : glissades, chutes, faux mouvements. Répondant à la norme EN 20 345, qui vient d’ailleurs d’évoluer (cf. encadré), la chaussure de sécurité se décline ainsi selon différentes catégories de protection. La moitié des ventes seraient représentées par des produits normés S3 (propriétés antistatiques, absorption d’énergie au talon, semelle résistante aux hydrocarbures, semelle anti-perforation, tige hydrofuge) et le quart par des S1P (antistatisme, absorption d’énergie du talon, résistance de la semelle aux hydrocarbures et protection contre la perforation), prisées notamment dans la logistique. Le reste est lié à des applications plus spécifiques.
Du confort et du beau
Néanmoins, comme nous l’avons évoqué, d’autres critères entrent en ligne de compte comme le confort et le look du produit, ce qui favorise aussi l’acceptation de l’EPI et donc la sécurité du porteur. La marque joue également, avec une prime pour celles qui ont une notoriété dans le sport ou dans l’outdoor, notamment pour les artisans qui sont prêts à investir. Ces préoccupations ont favorisé aussi l’engouement en faveur des chaussures type running et sneaker, légères et au design moderne, proche des modèles grand public. « Le tertiaire, les services, la logistique, l’artisanat ont tendance à regarder plus l’esthétique et la marque, qui les renvoie à du grand public, quitte à en changer plusieurs fois par an car la fonctionnalité des produits n’est pas toujours adaptée au métier » regrette Jean-Pierre Boutonnet.
Cette importance de la marque n’a pas échappé à Coverguard qui vient de lancer une nouvelle collection Claw, du mot griffe en anglais en écho à l’emblème de sa marque, l’ours, basée notamment pour la première fois dans l’histoire de l’entreprise française sur un moule développé en interne. Il comporte le dessin de l’ours, histoire que le professionnel puisse laisser cette empreinte à chaque pas. « La différence entre les acteurs ne se fait pas purement sur de la technologie mais aussi sur la marque, le style bien identifiable. Notre challenge est de créer de l’attractivité vis à vis de la marque, en faisant comprendre aux professionnels que nos modèles sont développés pour le bon usage, sont confortables, avec le bon style » explique Stéphanie Burgio, chef de produit chaussures de Coverguard. Et pour aller plus loin dans la prescription du bon produit adapté au bon usage, la marque a mis en place un outil de sélection en ligne avec une clé d’entrée par métier et étoffe régulièrement ses fiches métier, actuellement une vingtaine.
Différents acteurs observent également que cette tendance forte de la demande en faveur du look, du confort et de la légèreté, valorisant notamment les chaussures à l’allure sportive doit aujourd’hui être nuancée. « Le look c’est bien mais cela se fait au détriment de la durée de vie du produit. Les utilisateurs recherchent de plus en plus un bon compromis entre une chaussure de sécurité plus légère et plus lookée mais aussi la robustesse. Notre nouvelle chaussure Maccrossroad 3.0, typée outdoor, qui a gagné en légèreté, en flexibilité et en confort, a rencontré un véritable succès, grâce aussi à son look désormais plus orienté rando. Elle devient une alternative à la basket. » Si les produits sont devenus ces dernières années plus légers, les experts insistent aussi sur l’importance de la conception du produit. « Il faut garder à l’esprit que légèreté ne rime pas systématiquement avec robustesse et qu’un modèle bien équilibré pourra sembler moins lourd qu’une autre plus léger et mal équilibré » avertit Stéphanie Burgio.
La tige textile appréciée
Pour supprimer la sensation d’inconfort au niveau du port de la chaussure de sécurité et améliorer ses caractéristiques, les marques ont ces dernières années travaillé sur les différents paramètres qui composent le produit.
Une chaussure de sécurité comporte une tige, partie qui correspond au « dessus » de l’équipement. 30% des modèles sont à tige haute, appréciés notamment dès qu’il s’agit de protéger la malléole et 70% sont logiquement des modèles bas. Destinée à protéger le pied, la tige est fabriquée à partir de matériaux naturels tels que le cuir et/ou de matériaux synthétiques. Le cuir reste apprécié sur les secteurs outdoor, le bâtiment, l'industrie lourde, dès qu’il s’agit de travailler dans l’humidité ou d’être en contact avec des matières abrasives, voire même dans des environnements très contraignants (asphalte.)… Il se décline en plusieurs versions, qu’il s’agisse d’un cuir pleine fleur ciré et huilé, un cuir nubuck (cuir résultant d’un ponçage et d’un polissage superficiel de la couche externe d’une peau animale) ou velours (résultant d’un ponçage et d’un polissage superficiel de la couche interne).
Depuis plusieurs années, l’essor des tiges textile et microfibre, principalement à base de fibres polyester et polyamide, parfois en maille 3 D (mesh), a contribué à favoriser la légèreté et la souplesse de la chaussure, et à l’élaboration de designs bien identifiables avec différents coloris.
Certaines zones de la tige sont également renforcées, par exemple sur le haut du talon et sur l’avant du pied, ou encore au niveau des oeillets, permettant d’accroitre la protection et la résistance, en protégeant par exemple la surface contre les éraflures, tout en jouant la carte esthétique. En renforçant la résistance de la tige à l’usure, elles permettent d’augmenter la durée de vie du chaussant. Ces renforts sont essentiellement en cuir ou en TPU (polyuréthane thermoplastique).
La doublure, parfois de type Gore-Tex, est la matière située à l’intérieur de la chaussure, en contact direct avec le pied. Elle permet notamment de protéger les coutures intérieures et d’améliorer, là encore, la durée de vie de la chaussure. Fabriquée à partir de différents textiles, elle assure également le confort du pied. Ultra-respirantes et hydrofuges, les fibres de nouvelles génération disposent de nombreuses propriétés, notamment d’une très grande résistance à l’abrasion, au déchirement et à la coupure. Parfois imprégnée de résines, elles sont imperméables et faciles d’entretien. Les doublures à structure alvéolée disposent notamment de micro-canaux de ventilation au profit d’un niveau élevé de respirabilité.
Les chaussures se dotent également de systèmes de protection des métatarses plus confortables et de renforts anti torsion, sous forme d’un contrefort arrière qui augmente la stabilité et offre une meilleure protection contre les entorses. Intégrée, la protection métatarsale de nouvelle génération n’est plus lourde ou en métal. Uvex par exemple lance, avec un partenaire, un système reposant sur une matière qui se solidifie en cas de choc avant de revenir à son état normal. Il résiste à un impact de 100 joules.
Notons également que sur les tiges, les laçages de type Boa apparaissent de plus en plus. Ces systèmes réglables par une mollette permettent à la tige de s’adapter parfaitement au pied. Au-delà du confort généré, le gain de temps est aussi au rendez-vous par rapport au traditionnel laçage. De même, les ouvertures permettant l’introduction du pied sont plus larges, grâce par exemple à un arrière à la forme inclinée, plus plongeante.
Semelle extérieure en duo
La semelle extérieure peut-être composée d’une seule semelle (mono densité) ou de deux (double densité) : une semelle d’usure en contact avec le sol et une semelle intermédiaire située entre la semelle d’usure et la semelle anti-perforation. Il s’agit généralement d’un polyuréthane injecté parfois donc un PU double densité, ou d’un PU/TPU (polyuréthane thermoplastique). La version PU2D permet de superposer une semelle d’usure de densité élevée offrant résistance à l’abrasion et adhérence au sol et une semelle intermédiaire de densité plus faible pour plus de souplesse et de confort. Chaque fabricant dispose de sa propre recette de formulation, en fonction des propriétés qu’il veut apporter. Il existe par exemple des formulations spéciales qui permettent de résister au phénomène d’hydrolyse, bien connu des zones chaudes et humides, pouvant contribuer à l’effritement de la chaussure.En ce qui concerne les chaussures de sécurité, le PVC est tombé en désuétude. En revanche, même s’il est plus lourd, le caoutchouc nitrile est toujours bien présent, notamment pour l’industrie lourde et l’outdoor. Les qualités de la semelle Vibram en caoutchouc sont, par exemple, bien connues pour résister, selon ses versions, aux très hautes et très basses températures et offrir une forte résistance à l’abrasion. Chez Uvex-Heckel, par exemple, 85% des chaussures de la marques disposent de semelles PU injectées tandis que sous la marque Heckel, davantage tournée vers les applications lourdes et outdoor, 50% des modèles disposent d’une semelle caoutchouc.
Le caoutchouc peut être associé à de l’EVA, une matière très souple qui s’est imposée dans les chaussures type running, ou au PU mono ou double densité, qui apportent alors de la légèreté à la chaussure. Le caoutchouc peut également intervenir en une mince couche d’usure, au profit d’une semelle mariant le confort de l’EVA et du PU à la robustesse du caoutchouc. Ces semelles sont aussi plus coûteuses à réaliser que du simple PU2D.
Le dessin de la semelle extérieure, son profil, le type de crampons, ont également toute leur importance pour assurer une bonne adhérence sur le sol, même accidenté.
A l’intérieur de la chaussure, la semelle de confort, dite aussi première de propreté apporte un complément d’hygiène, de confort climatique et d’absorption des chocs. Elle peut être aussi anti-bactérienne, imperméable, isolante ou respirante ou encore apporter une voûte plantaire. Amovible, elle ne peut être échangée avec une semelle alternative, sans risque de modifier la certification de la chaussure. « La modification d’une semelle de propreté peut avoir un impact sur les tests liés à la norme » précise Stéphanie Burgio. « Pour le test d’écrasement par exemple, si on augmente la hauteur de la semelle, le pied a moins d’espace et pourrait être écrasé. »
Certains modèles sont développés également dans des chaussants adaptés à la morphologie du pied féminin, bien que les marques privilégient plutôt des collections globales, intégrant des petites pointures et dans différentes largeurs.
Evolutions pour la semelle anti-perforation
Les éléments de sécurité, proprement dit, sont...