Les chaussures de sécurité
La valorisation au bout du pied
Le marché de la chaussure de sécurité poursuit sa marche en avant vers plus de valeur ajoutée. Cette démarche passe par de nombreux paramètres, à commencer par le confort, le look, la durabilité et l’éco-conception des produits. Des critères qui font désormais partie de la réflexion d’un nombre grandissant d’acheteurs.
Le marché de la chaussure de sécurité tient bon. Non pas que le nombre de pieds à équiper soit fortement en croissance. En revanche, la tendance semble bel et bien en faveur d’une attention de plus en plus marquée de la part des responsables sécurité pour des produits à plus forte valeur ajoutée. « Malgré la pression économique, les grands donneurs d’ordre sont obligés de tenir compte des exigences et des revendications des salariés, d’autant que dans certains métiers et certaines régions, le taux de chômage est bas. Les salariés sont très volatiles et choisissent des entreprises qui sont attentives à la qualité de leur équipement » résume Jean-Pierre Boutonnet, directeur commercial de Lemaitre.
La mise à disposition d’une chaussure de qualité, qui joue la carte du confort, mais aussi du look, en témoigne le fort développement des modèles reprenant les codes sportifs, devient ainsi l’un des arguments déployés pour séduire ou garder un salarié, une marque de valorisation comme l’est aussi le vêtement professionnel. « En fait de belles chaussures de sécurité, ce sont avant tout de belles chaussures. Il s’avère qu’elles proposent des protections, parce qu’on est dans un contexte qui présente des risques. Mais le porteur, quand il est devant ses enfants le matin ou s’il prend le bus, n’a pas envie de se sentir dévalorisé. Cette préoccupation s’inscrit sur un fond de valorisation des métiers opérationnels, notamment depuis le Covid. Cela se traduit donc aussi au niveau de la chaussure de sécurité » ajoute Cédric Huron, directeur Category Management & RSE de Coverguard.
Il faut bien le reconnaître, au-delà de la marque d’intérêt et de la motivation, l’employeur est lui aussi gagnant puisque le confort d’une chaussure devient synonyme de confort au poste de travail : rien de pire que de travailler en ayant mal aux pieds, avec des incidences évidentes sur la productivité et l’attention. Mieux encore, à travers ses caractéristiques, la chaussure de sécurité se pose comme un atout pour réduire la fatigue, le risque de TMS et, bien entendu, d’accidents. La prévention des risques est de mieux en mieux comprise par les responsables sécurité, qui y voient aussi l’éloignement du risque judiciaire en cas de problèmes majeurs, surtout si le produit choisi n’était pas à la hauteur.
Le prix face au durable
En outre, une chaussure de qualité est logiquement souvent plus durable, car plus résistante. Il est difficile toutefois d’établir une moyenne de durée d’utilisation d’une chaussure, qui va dépendre du métier ou du recours à une paire été et à une paire hiver… « La dotation a cet avantage de mettre une fréquence, en moyenne une fois par an chez les grands groupes, mais qui peut être déportée à deux ou trois ans selon le produit. Néanmoins, l’acheteur va repérer tout de suite le produit qui ne tient pas un an, puisque le nombre de demandes de rechange est important. Il a peut-être fait 5% d’économie sur le prix du produit, mais il comprend vite qu’au final, il a doublé sa consommation. Cela contribue à augmenter ses exigences » explique Jean-Marie Calame, directeur général de Jallatte. « Les clients sont un peu moins à la recherche d’un prix au bénéfice d’un produit plus résistant, plus durable. Si les responsables des achats observent que nos produits ont un taux de renouvellement plus faible, ces derniers font alors l’unanimité » confirme Jean Doyen, chef de produits chez Uvex-Heckel, entreprise qui en France affiche cette année une croissance de chiffre d’affaires de 15% « Finalement, le marché français a quand même bien résisté cette année. Ce n’est pas le cas dans certains autres pays. Les marchés anglais et allemand sont plus sur une stagnation ou une légère baisse, même si depuis les vacances d’été et les élections, les distributeurs français semblent manquer de visibilité. »
Chez PIP (Albatros et Puma Safety), cette même préoccupation est remarquée. « Il y a des comportements qui sont ancrés en France. Ça veut dire que, sauf dans le cas obligatoire de réductions du budget qui peut se répercuter en une recherche de produits moins chers, il est généralement difficile de revenir en arrière quand des produits de qualité sont implantés » précise Julien Ménard, directeur commercial France & Key Account Manager Europe de PIP.
Des poches de progression
Ce mouvement en faveur de produits à valeur ajoutée est surtout observé sur le marché du BTP et des services (transports, logistiques) plus que dans l’industrie, chacun de ces trois grands secteurs détenant environ un tiers du marché de la chaussure de sécurité. « Entre le BTP, l’industrie et les sociétés de service, les fonctionnements et les habitudes d’achats ne sont pas forcément les mêmes... Sur les dernières années, on peut constater que dans le BTP, la montée en gamme des produits s’est effectuée par la volonté des grands groupes d’augmenter le confort, l’ergonomie. Le prix moyen de la chaussure a augmenté, mais la valeur ajoutée aussi. On nous a demandé des produits plus qualitatifs. Ça a permis à des marques comme Jallatte de se différencier et de proposer des produits avec une valeur ajoutée perçue, mais en même temps ressentie, qui fait que l’utilisateur accepte un prix supérieur » explique Jean-Marie Calame.
Dans l’industrie, ce phénomène ne semble donc pas aussi marqué, bien que de grands groupes soient également présents dans cet univers. « Ce secteur est resté sur un volet très économique, où le prix est encore un marqueur clé de décision. On est donc sur les produits plutôt moyen de gamme. Les acheteurs demandent des chaussures metal-free, mais sans forcément vouloir monter en gamme. Nous pensons donc que pour les prochaines années, même si les effectifs n’augmentent pas, le potentiel de parts de marché existe sur le segment industriel. »
Jérôme Ménard, de PIP, confirme la différence de démarche entre l’industrie et le bâtiment. « Dans l’industrie, il faut surtout que le produit soit adapté à l’application, au problème. L’artisan, lui, est plus à l’écoute du style et du look, que du confort. Il est prêt à payer plus cher pour une marque, même si ses produits présentent moins de confort. » Dans certaines entreprises artisanales du bâtiment, le chef d’entreprise n’hésite d’ailleurs pas à investir dans des chaussures de sécurité premium, pour lui comme pour son ou ses quelques salariés. Il veut se faire plaisir, en conservant ainsi une certaine allure quand il quitte son chantier ou va en clientèle, ne résistant pas toujours à l’achat d’impulsion. « Cela dépend vraiment de la culture du responsable d’entreprise » nuance Jean-Marie Calame.
En effet, d’autres segments de marché semblent promis à un bel avenir, notamment les entreprises du second oeuvre du bâtiment. « Nos concurrents principaux sont des marques bien connues comme Nike ou Adidas, qui ne sont absolument pas des chaussures de sécurité, puisque de nombreux acteurs de la rénovation, ne mettent pas de chaussures de sécurité. Nous considérons qu’il faut aller chercher de la croissance chez ceux ceux qui s’équipent déjà, et, surtout, réussir à convaincre ceux qui ne s’équipent pas encore, notamment leur patron qui a un rôle central dans l’équipement de ses salariés » indique Cédric Huron. Se positionnant désormais comme un multispécialiste des EPI, et donc comme un spécialiste de la chaussure de sécurité, depuis le lancement de sa collection signature Claw, avec des modèles dont le design est propre à la marque et qui s’enrichit cette année de nouveaux modèles, Coverguard s’appuie notamment sur son CoverLab pour mieux comprendre les réticences. Cette communauté d’utilisateurs est mobilisée dès les phases amont de la conception pour tester des prototypes et les ajuster en fonction de leur retour.
L’achat en faveur de produits avec moins de plus-value pour l’utilisateur s’explique aussi par le fait que les petites et moyennes entreprises du bâtiment achètent leurs EPI là ou ils achètent leur ciment ou leur matériel électrique, chez des distributeurs qui ont tendance à travailler avec des fournisseurs généralistes EPI, qui proposent des gammes courtes. « Il y a donc encore des poches d’amélioration de l’équipement en chaussures de sécurité par la montée en gamme aussi via les distributeurs » insiste Jean-Marie Calame.
Un marché très atomisé
Ce marché, jugé donc globalement mature, autour de 7,5 millions de paires (selon les recoupements de différentes études) et d’un chiffre d’affaires de 250 millions d’euros (sorties fabricants vers distributeurs), dispose de perpectives certaines.
Néanmoins, si la confiance est bien là, ce marché est très concurrentiel, avec un nombre croissant d’intervenants, tant côté fournisseurs que distributeurs, attirés par cette valeur sûre qu’est l’EPI, puisqu’il y a toujours nécessité de renouveller l’équipement de protection. Ainsi, la bataille est forte entre les grands majors du secteur, comme Descours&Cabaud, Groupe RG, Rubix, France Sécurité, Mabéo Industries, qui se disputent tous les appels d’offre, tandis que le nombre de distributeurs spécialisés sur un autre métier (loueurs, spécialistes en électricité…) ont étoffé leur offre d’une petite gamme courte de chaussures de sécurité, souvent auprès de fournisseurs généralistes des EPI, sans oublier le web. Dans ce contexte, les distributeurs de proximité n'ont pas dit leur dernier mot, surtout lorsqu’ils sont en mesure de déployer un argumentaire leur permettant de mettre en avant les caractéristiques des chaussures à valeur ajoutée, notamment, auprès d’artisans.
Un métier complexe
Chez les fabricants spécialisés dans la chaussure de sécurité, l’offre est large pour offrir du choix et couvrir tous les besoins, quel que soit le métier. Mais on est loin de l’eldorado. Si la tendance inflationniste s’est stabilisée, malgré encore des tensions sur certaines matières premières comme le cuir, les fabricants ne peuvent plus guère s’appuyer sur des historiques de commandes fiables, sur un marché où la demande connaît des hauts et des bas, alors qu'ils ont besoin d’anticiper leurs achats de matières premières pour fabriquer un nombre conséquent de modèles différents. « C’est un métier complexe avec de nombreux composants. Chez Lemaître, nous avons toute une équipe, le Planning, qui est dédiée aux prévisions d’achats de matières premières. C’est presque le cœur du système. Sans ce service, on ne pourrait pas fabriquer. Nous intégrons ces données dans des outils logistiques hyper exigeants » explique Jean-Pierre Boutonnet.
En outre, au bout de quatre à cinq ans, les modèles sont sans doute amortis, mais ne trouvent plus preneurs, l’utilisateur ayant envie de changer de modèle. Si les chaussures concernées se trouvent encore en stock, c’est une perte financière sèche pour l’entreprise, sans oublier les changements de norme et la nécessité de mettre en phase les modèles avec les nouvelles exigences.
Les collections se renouvellent sans doute plus fréquemment qu’auparavant, sans atteindre le rythme de la chaussure de ville. Le cycle de vie d’un modèle de chaussures de sécurité se rapproche de 6-8 ans, contre environ 8-10 ans, il y a quelques années. « On se rend compte que, sur certaines gammes, une basket par exemple, le client choisit son modèle et, s’il est content, va renouveler son achat une fois, deux fois. Puis, il va se poser la question de changer. Cela nous oblige d’intégrer cela lors de nos renouvellements de produits » confirme Jean-Marie Calame. Le look de la chaussure, on l’a vu, a pris de l’importance dans les critères d’achats, mais sans sombrer dans le côté fashion. Si les designs adoptent les codes du sport ou de la randonnée, les coloris demeurent dans les dominantes foncées, des noirs, gris, bleus, associés à des touches plus vives parfois fluo. Le blanc n’est pas plébiscité, car jugé à la pratique trop salissant.
Petits et grands petons
Evidemment, plus les collections sont larges, plus la problématique est complexe, et se multiplie par un panel de coloris et de tailles, allant généralement du 36 au 48, les marques spécialistes n’hésitant pas à aller au-delà dans les extrêmes. Le pied féminin suscite d’ailleurs un réel intérêt puisqu’il s’agit d’adapter la chaussure de sécurité à sa morphologie spécifique. L’heure n’est plus à proposer des collections dédiées, arborant souvent des tonalités pastel. L’idée des fabricants est plutôt d’apporter sur les petites pointures d’une même collection un chaussant adapté au pied féminin, plus fin, et à partir du 40 ou du 41, d’évoluer vers un chaussant classique, le tout sur une même collection. Les atouts sont clairs : le choix est plus important pour les femmes et l’entreprise peut uniformiser son image.
Certains fabricants sont encore plus précis dans leur approche. Chez Jallatte, par exemple, la collection est adaptée à la morphologie du pied féminin jusqu’au 38, mais à partir du 39 jusqu’au 42, l’évolution est graduelle, se rapprochant de plus en plus du pied masculin. Du côté d’Uvex-Heckel, jusqu’à quatre largeurs différentes sont proposées pour chaque pointure. « Sur une pointure 45, par exemple, la largeur standard est le 11, mais on peut monter à 12 et à 14. La largeur 14 a un embout spécifique pour laisser le plus d’espace possible au pied dans la chaussure. »
Chaussures à l’ancienne
Bien entendu, une chaussure de sécurité doit avant tout protéger, sachant que les normes la concernant ont évolué en 2022, avec la complexité actuelle d’une période transitoire qui autorise les deux normes (cf. encadré). « Etant donné que les AET (Attestation d’Examen CE de Type) sont valables cinq ans, cela veut dire que pendant cinq ans, après cette année de transition, il pourra y avoir sur le marché des chaussures à l’ancienne et à la nouvelle norme. Bien entendu, les fabricants va faire le nécessaire pour soumettre leurs produits à la nouvelle réglementation. Et bien que les deux règles puissent vivre ensemble encore un moment, le marché va exiger assez rapidement la nouvelle norme. Dans ce cadre, la réactivité des acteurs est une bonne chose. En effet, le fait que les deux normes vivent en même temps sur le marché va créer de la confusion » estiment les experts de S.24.
La nouvelle norme EN ISO 20345:2022 sera définitivement applicable en novembre 2029, ce qui fait de novembre 2024 une date de référence pour compte tenu de ces délais d’obtention des attestations. « Cela signifie qu’une chaussure de sécurité produite avec une AET à l’ancienne norme 2011 délivrée en novembre 2024 peut encore être mise sur le marché en novembre 2029. » En revanche, après novembre 2024, il ne sera plus possible de certifier des chaussures à l’ancienne norme.
Semelles à la pointe
La nouvelle réglementation introduit plusieurs évolutions significatives, notamment en ce qui concerne la résistance à la perforation, marquée auparavant P, avec une distinction pour la protection vis-à-vis des pointes fines de 3 mm (nouveau marquage S pour small) et des pointes larges de 4,5 mm (nouveau marquage L pour large). Nombre d’acteurs sont déjà au diapason, distinguant les chaussures S3S des chaussures S3L, selon le type de pointe utilisé pour le test.
Par la même occasion, ce nouveau marquage différencie aujourd’hui clairement les semelles anti-perforation métal, qui bénéficient toujours de la lettre P, des semelles anti-perforation textile, qui dominent aujourd’hui le marché et doivent donc afficher ce L ou ce S. « Chez Lemaitre, à la demande de grandes entreprises, nous avions déjà breveté un insert textile de haute-protection car nous avions observé que la pointe que rencontre le professionnel sur le chantier était beaucoup plus petite que la pointe du test » souligne Jean-Pierre Boutonnet. Jusqu’alors, ceux qui avaient identifié un risque plus exposé sur un chantier optaient pour une semelle anti-perforation acier, au détriment de la semelle anti-perforation textile. Cette dernière a pour elle d’apporter plus de souplesse à la chaussure et donc de confort à l’utilisateur, tout en isolant mieux le pied du froid et en étant, évidemment, a-magnétique. A noter que le niveau d’exigence étant plus élevé pour les pointes fines, les semelles anti-perforation textile doivent être renforcées avec des plaques textiles ou composite plus lourdes, plus denses et souvent moins souples.
L’embout sous domination composite
L’embout est, tout aussi essentiel dans la protection des pieds de personnes exposées à un risque de choc ou d’écrasement. Pour prétendre à la terminologie de chaussures de sécurité et donc à la norme EN ISO 20345 (à distinguer des chaussures de travail obéissant à la norme EN ISO 2034), le modèle doit comporter un embout de protection, résistant à un choc de 200 joules, équivalant à une chute d’un mètre d’un objet de 20 kg.
L’embout de sécurité peut-être en acier ou en aluminium, ou bien en matériaux composites (polycarbonate, fibres de verre, fibres de carbone) si le lieu de travail requiert une alternative sans métal. Également a-magnétique, l’aluminum présentait ces dernières années l’avantage de favoriser des designs plus fins de la chaussure, le composite exigeant une...