Les lubrifiants et dégrippants
La prévention fait tache d’huile
Même si le volume de leurs ventes ne progresse plus, les lubrifiants, dont les dégrippants font pleinement partie, sont des incontournables de la maintenance industrielle. Ils contribuent à allonger la durée de vie des équipements de production et à optimiser leur productivité, tout en réduisant leur consommation d’énergie et aujourd’hui leur impact environnemental et sanitaire grâce à des formulations renouvelées. Des bénéfices potentiels qui constituent autant d’opportunités pour les distributeurs en capacité de valoriser des services comme le conseil et l’audit des parcs de machines.
Au premier regard, le marché des lubrifiants est une mer d’huile. À peine ridé par une onde environnementale –une houle verte qui s’affirme plus forte avec les exigences des nouvelles réglementations et l’enthousiasme des jeunes générations –, le tableau est paisible. Quelques brasses sous la surface, pourtant, le tumulte se fait entendre et oblige certains à nager en eau trouble à défaut de pouvoir surfer sur une déferlante. Du coup, les sirènes et les baigneurs s’observent du coin de l’œil. « Il n’existe pas d’études sur les lubrifiants de maintenance et si nous en avions lancé une, nous préférerions la garder pour nous », sourit Claudia Forgemont, category management manager chez la WD-40 Company, responsable marketing pour les réseaux de distribution professionnelle. L’entreprise américaine fête ses 70 ans cette année. « En 1953, des ingénieurs ont été mandatés par la Nasa pour mettre au point une solution repoussant l’eau afin de protéger de la rouille et de la corrosion le premier missile balistique intercontinental américain Atlas. Au quarantième essai, ça a fonctionné ! » Le sigle WD-40 signifie « Water Displacement, 40th formula ». À l’heure de l’Équilibre de la terreur naissait, ainsi, un produit auquel il restait à inventer les milliers d’utilisations et qui allait donner le jour à un marché aujourd’hui encore très lucratif.
« Les attentes sont nombreuses. Nos réponses, adaptées. Le marché est attrayant en raison de ses volumes importants. Tout le monde peut utiliser un lubrifiant ou un dégrippant. Un dégrippant est composé principalement d’huile. L’huile est un lubrifiant », résume Thierry Mongrelet, country manager France de la société américaine CRC Industries. Son métier : les aérosols de maintenance et les lubrifiants. « Nous ciblons les techniciens qui s’en servent tous les jours, contrairement aux particuliers qui n’en ont besoin que de temps en temps. Parfois, les entreprises ont des besoins spécifiques, c’est la raison pour laquelle nous proposons une trentaine de références. Et même si les produits multifonctions font le gros du marché, certains sont adaptés à des températures particulières ou un environnement spécifique, comme des produits certifiés NSF, sans particules noires pour des interventions en zones blanches, dans le secteur agroalimentaire. »
Un marché à la baisse...
Selon le Centre professionnel des lubrifiants (CPL), responsable, en France, de la collecte des statistiques de l’Industrie des lubrifiants et des additifs de lubrification, au 31 janvier dernier, les ventes de lubrifiants industriels s’affichent en recul de 4% sur un an, à 176 518 tonnes, même si, au mois de janvier, les ventes ont progressé de 3,6% par rapport à janvier 2022, à 14 058 tonnes. Il s’agit bien là, en quasi-totalité, de lubrifiants mécaniques minéraux ou de synthèse, issus de la pétrochimie ou plus généralement de la carbochimie. Cette baisse n’a rien d’exceptionnel. Elle est chronique. Inexorable, selon les commentateurs spécialisés. Et si les fabricants de lubrifiants questionnés pour ce Zoom se refusent à apprécier la valeur des différents segments de l’univers sur lesquels ils se positionnent, la plupart estiment qu’il ne s’agit plus aujourd’hui pour eux que de prendre des parts de marché à leurs concurrents. Gros volumes et prix bas autant que bataillés, « le gâteau ne grossit pas. » On utilise de moins en moins de lubrifiants dans l’industrie.
« C’est une tendance forte. Aujourd’hui, d’une manière générale, les machines sont tellement performantes qu’elles utilisent moins de lubrifiant pour fonctionner », avance Olivier Bortot, responsable marketing France de la société ITW Spraytec, filiale du groupe américain ITW, dépositaire des marques Jelt et Rocol. « Je ne parle pas des huiles de coupe, évidemment. C’est vrai pour les lubrifiants des circuits des machines ou pour les graisses des roulements à billes. Ces équipements de production sont de plus en plus performants et, également, de mieux en mieux conçus, avec des alésages plus précis, de meilleurs ajustements, donc des écarts entre les pièces qui sont plus faibles et qui nécessitent moins de lubrifiants. C’est la même chose pour les voitures, dont les moteurs sont mieux conçus et mieux fabriqués aujourd’hui qu’il y a cinquante ans. Elles consomment moins d’huile. Les vidanges sont moins fréquentes. »
... mais d’une grande résilience
Par essence, les équipements de production industrielle disposent de très nombreux roulements, vérins ou glissières, qui sont lubrifiés de manière automatique ou par des équipes de maintenance, de manière plus ou moins fréquente, en plus ou moins grande quantité. Ils ont vocation à durer dix, vingt ou trente ans et ont tendance à avoir besoin d’un peu plus de lubrifiant au fur et à mesure de leur usure. Les lubrifiants, et particulièrement les lubrifiants de maintenance, ne sont pas près de disparaître. Il y en a sous différentes formes dans la plupart des secteurs d’activités. On peut même estimer que le rapatriement en France de certaines usines installées en Europe de l’Est, voire en Asie, timide encore, mais bien réel, adoucira, dans les prochaines années, la courbe décroissante des ventes de ces produits indispensables.
Pas de quoi inquiéter, en tout cas, les très nombreux fabricants de lubrifiants industriels à la tête desquels se tient, en Europe, l’Allemand Klüber. Sur son site Internet, il indique : « Les solutions tribologiques innovantes sont notre passion », la tribologie se définissant comme une branche du génie mécanique et de la science des matériaux qui étudie les phénomènes susceptibles de se produire entre deux systèmes matériels en contact, immobiles ou en mouvements, tels le frottement, l’usure ou la lubrification.
Pas de quoi inquiéter, non plus, les cinq « super majors » pétrolières, ExxonMobil, Shell, Chevron, BP et TotalEnergie, principaux fournisseurs des huiles de base pour la fabrication de lubrifiants, qui ont engrangé, ensemble, en 2022, un bénéfice record de 151 milliards de dollars, résultant d’une consommation irréfragable de pétrole et de gaz, combinée à la guerre en Ukraine. De là à imaginer qu’elles profiteront de cette manne pour investir dans les bioraffineries, proches des filières agroalimentaires et agrochimiques, pour proposer des lubrifiants végétaux et biodégradables, il n’y a qu’un pas… Un pas que toutes ont déjà franchi — certaines, avec conviction, depuis plusieurs années — en raison de leur nécessaire reconversion. Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique et de la décarbonation de l’économie, avec la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ces « lubrifiants verts » pourraient, en effet, peu à peu, remplacer, si ce n’est la plupart des lubrifiants minéraux, du moins ceux dont l’impact sur l’environnement est le plus important.
Fabricants et conditionneurs
À l’instar du liquide synovial, présent dans chacune des articulations du corps humain, qui permet aux cartilages de deux extrémités osseuses de glisser sans encombre l’un contre l’autre, le lubrifiant est, pour tout mécanisme, un « amortisseur » qui limite la friction et facilite le mouvement entre deux éléments en métal, en plastique ou en tout autre matériau solide. Il réduit leur usure, amoindrit l’échauffement engendré par leurs frottements, les protégeant ainsi d’une éventuelle déformation, et atténue également le bruit. Il les rend parfois étanches à toute poussière, comme c’est le cas pour les roulements à billes.
Depuis près de deux cents ans, les fabricants de lubrifiants s’ingénient à mettre au point les recettes les plus adaptées au bon fonctionnement des équipements de production et à leur productivité même. Les bibliothèques de formulations chimiques sont légion. Il suffit parfois d’y piocher un volume pour initier une nouveauté.
Selon Thierry Mongrelet, le savoir-faire des fabricants réside d’abord dans le fait qu’ils disposent d’un laboratoire de recherche et de développement et qu’ils font le choix de leurs matières premières. « Nous avons la maîtrise de l’outil industriel, avec un suivi de notre fabrication de la conception à la livraison. C’est un gage de sérieux et de qualité », explique-t-il. « Le développement d’un produit peut prendre une année, voire deux, et sa durée de vie peut être très importante. Pour les lubrifiants, comme pour les dégrippants, certaines formulations traversent le temps, car on n’a pas trouvé mieux depuis leur création. Et il n’y a pas tant que ça de...