Les lames de scies circulaires
Une segmentation de plus en plus affûtée
Avec la multiplication des matériaux dans la construction, il devient impossible aujourd’hui pour une même lame de pouvoir tout couper. Par conséquent, le marché des lames pour scie circulaire se complexifie de plus en plus, avec l’émergence de lames dédiées à des applications précises mais aussi de lames polyvalentes, permettant au professionnel qui ponctuellement rencontre plusieurs matériaux d’assurer la continuité de son chantier sans perte de temps.
Figurant en troisième position derrière les abrasifs appliqués et les abrasifs agglomérés, les lames de scies circulaires constituent l’un des marchés de consommables les plus importants de l’univers professionnel. Leurs ventes sont estimées globalement à 850 millions d’euros, dont 230 millions d’euros en vente directe (scieries industrielles...) et 620 millions d’euros réalisés à travers la distribution, fournitures et quincailleries industrielles, mais aussi négoces généralistes ou spécialistes du bois.
Un secteur non négligeable donc, dont les volumes enregistrent une légère évolution pouvant même aller jusqu’à 5% pour certains intervenants. Bien sûr, sur le plan technique, les lames de scies circulaires n’ont guère évolué, les dentures à plaquettes carbure dominant largement les ventes depuis quelques décennies. Mais cette situation tend à évoluer avec l’émergence de technologies issues de l’univers industriel, certes encore marginales. Il est vrai que de plus en plus de professionnels sont aujourd’hui confrontés à la nécessité d’utiliser une scie circulaire pour couper, non seulement le bois et tous ses dérivés, mais aussi de la laine de roche, des métaux ferreux ou non-ferreux, du PVC, des résines synthétiques, des panneaux cimentés... Par ailleurs, le développement du recours au bois dans la construction laisse entrevoir de belles perspectives de croissance à ce marché, en témoigne d’ailleurs le développement d’enseignes spécialisées bois dans le négoce. Certains restent toutefois mitigés quant à l’impact futur du Grenelle de l’Environnement sur ce marché, faisant remarquer que les nouveaux systèmes constructifs en bois (panneaux, structures pour maison à ossature bois...) relèvent surtout des scieries industrielles et donc de la vente directe.
Deux principaux segments
En fait, les ventes transitant par la distribution se segmentent en deux marchés bien distincts. Le premier répond à l’équipement des machines électroportatives, avec des diamètres évoluant pour la majorité des ventes de 130 mm à 210-240 mm, voire 270 mm. Il s’agit d’un marché de consommables, sans doute en croissance en volume, mais au détriment parfois d’une qualité. Ces produits comportent un certain nombre de produits premiers prix considérés comme jetables puisqu’ils ne seront pas réaffutés. Sur ce segment, les importations asiatiques constituent un poids important, qu’elles proviennent du sourcing de fabricants d’électroportatif ou de fournisseurs spécialisés dans les outils coupants pour le bois qui alimentent par ce biais leur catalogue d’une offre dite standard.
Le second marché est celui des lames destinées aux machines stationnaires ou semi-stationnaires. Les diamètres évoluent alors de 240 à 350 mm pour la distribution généraliste, et jusqu’à 500 ou 600 mm pour les revendeurs spécialisés travaillant avec des affûteurs et donc capables de proposer un SAV. Au-delà, la lame est vendue à l’industrie de la transformation du bois en direct.
Contrairement au premier segment, les lames de grands diamètres ne sont pas détenues en stock. Il faut bien reconnaître que le marché de la lame circulaire est fort complexe et comprend de nombreuses références, donc exige de la place en point de vente et une immobilisation financière importante. Pour les lames carbure de diamètres supérieurs, le prix en moyenne se situe aux alentours de 200 euros quand il ne dépasse pas 20 euros pour l’électroportatif. Ces lames sont donc vendues à la demande, le distributeur généraliste s’appuyant souvent sur la préconisation du fabricant de lames.
Différents types d’opérateurs
Les importations asiatiques opèrent peu sur ce second segment qui reste placé sous l’apanage des fabricants européens, les Allemands et les Italiens notamment mais aussi quelques Français comme le Savoyard RDB-Onci Jaguar ou le Ligérien Forézienne MFLS.
Globalement, différents types d’opérateurs se rencontrent sur le marché de la lame pour scie circulaire dans la distribution professionnelle. Tout d’abord, les fabricants d’électroportatif qui proposent donc avec leur appareil une lame en première monte. Dans la plupart des cas, ces lames sont issues d’un sourcing asiatique ou européen et font l’objet de gammes assez courtes, avec souvent des opérations promotionnelles consistant à proposer la lame... gratuitement.
Les autres intervenants sont les spécialistes de l’outil coupant pour le bois, des fabricants ou des packageurs qui effectuent leurs propres sourcings. En France, le marché de la lame pour scie circulaire est détenu notamment par Isocèle (groupe Dodane), ou encore l’Allemand Leuco qui va promouvoir la marque Stehle, sans oublier donc les Français Jaguar et La Forézienne. Néanmoins, le marché français reste singulier au regard de l’Europe. A l’exception sans doute d’Isocèle, ses acteurs historiques sont peu développés à l’export et les grandes marques européennes traversent peu les frontières hexagonales. Ainsi, l’Italien Freud, le leader mondial de la lame de scie circulaire, était jusqu’alors peu distribué en France. Mais suite à son rachat par Bosch depuis deux ans, ses fabrications viennent enrichir la partie haut de gamme des lames vendues dans l’hexagone sous marque Bosch, une gamme qui se spécialise ainsi de plus en plus avant sans doute de se développer sous la marque Freud d’ici un an. Un autre intervenant compte bien lui aussi tirer son épingle du jeu : Mécabois, repris par Sidamo en 2010, vient de refondre entièrement sa gamme pour mieux l’adapter aux besoins du marché.
Un marché très complexe
Cette spécificité du marché français au niveau de ses acteurs prend sans doute sa source dans le fait que les habitudes de nos compatriotes diffèrent de celles de nos voisins européens. Alors que les lames vendues en Europe présentent des configurations relativement standardisées, le marché français réclame des diamètres et des dentures fort variés, ce qui contraint les fournisseurs à proposer des gammes larges.
Ce marché se complexifie encore avec l’explosion de la variété des matériaux dans la construction. Aucune comparaison donc avec le marché du disque diamant pour lequel le professionnel qui veut couper de l’asphalte ou du béton armé trouvera immédiatement le produit dédié.
Le choix d’une lame de scie circulaire est soumis à plusieurs critères, qui se répercuteront en autant de références. D’abord, pour un diamètre donné, plusieurs alésages sont possibles en fonction de la machine : 16, 20 et, dans les cas les plus fréquents, 30. Jusque-là, tout va bien.
Mais ensuite, pour chaque diamètre, entre en compte le type de travail souhaité – débit, finition, super finition – qui va déterminer le nombre de dents et la forme de la denture. Globalement, plus le nombre de dents est élevé, plus la lame conviendra pour des coupes de finition. Inversement, une lame comportant un nombre de dents faible est adaptée aux coupes de débit. A ce niveau, l’importance de la qualité de la lame n’est pas anodine. Plus elle monte en dentures, plus la lame doit en effet être bien tensionnée pour éviter les vibrations de façon à assurer la qualité de la coupe. Évidemment, sur une coupe de débit, ce phénomène joue moins. Ainsi, la différence de qualité entre deux lames de 120 mm avec 24 dents, dédiées donc au débit, se sentira moins qu’entre deux lames de 300 mm avec 96 dents !
Précision en prime
Au-delà du nombre de dents, les dentures peuvent être plates, trapézoïdales, alternées, avec des attaques d’angles différents... Mais à l’exception des spécialistes et des affûteurs qui savent tel type précis de géométrie de denture ils recherchent, les fournisseurs cherchent surtout à simplifier le choix pour les utilisateurs finaux et les distributeurs. Autrement dit, dans leurs catalogues, ils précisent le champ d’application de leurs lames, ces caractéristiques très techniques étant mentionnées dans la description du produit mais sans qu’elles se posent systématiquement comme un critère d’achat.
Même chose en ce qui concerne les épaisseurs des corps de lame et des dentures qui varient en fonction des diamètres. Communément, pour une lame de 270 mm pour scie électroportative, le corps de lame dispose d’une épaisseur de 2,6 mm ou 2,8 mm en moyenne. Cette épaisseur grimpe à 3,2 ou 3,5 pour la lame de même diamètre, montée sur scie semi-stationnaire, du fait de la vitesse de rotation de la machine et donc de contraintes mécaniques plus élevées. Elle atteint 4,4 mm en diamètre 600.
Cela dit, il existe également sur le marché des lames destinées aux machines stationnaires sur batterie dont l’épaisseur est inférieure à 2,2 mm, cette finesse de la lame permettant d’économiser la batterie. Ce segment reste toutefois marginal.
S’adapter à l’évolution des matériaux
La subtilité de ce marché va croissant avec la nécessité de s’adapter aux différents matériaux rencontrés, même pour celui qui cherche tout simplement une lame pour le bois. Cette lame ne sera pas forcément la même pour couper du bois brut, tendre ou dur, que du parquet stratifié, de l’aggloméré, du laminé simple ou double face... Plus abrasif que le bois brut, le stratifié doit ainsi nécessiter une lame spéciale au risque sinon d’obtenir une moindre résistance dans le temps et une coupe peu soignée. De même, une lame pour le bois tendre aura du mal à venir à bout de matériaux composites comme l’aggloméré, structure hétérogène à base de silice, de métaux ferreux, etc.
D’autres matériaux entrent également de plus en plus en ligne de compte : l’aluminium certes, mais aussi le PVC, l’acier, des matières isolantes, des matériaux type Eternit, sans oublier les résines synthétiques comme le Corian particulièrement abrasives. Ainsi, pour un diamètre donné, une lame pourra se décliner en une dizaine de références selon le degré de finition exigé et le matériau à couper.
Spécialisation et polyvalence
Même si les lames dédiées au bois restent majoritaires (environ 60% du marché) suivies par celles dédiées aux métaux non ferreux, les gammes se spécialisent de plus en plus en fonction des applications, tout développant parallèlement des lames mixtes, permettant aux professionnels de faire face aux différentes structures qu’ils sont susceptibles de rencontrer. Néanmoins, si ces dernières permettent à l’agenceur par exemple de gagner du temps en lui évitant de démonter puis remonter la lame adéquate, lorsqu’au détour d’un chantier il doit couper non seulement des panneaux mais aussi une cornière métallique, nombre de professionnels estiment que seule une lame spécialisée peut garantir un travail de précision dans la durée.
Cette évolution des matériaux génère l’apparition de nouveaux types de denture, issus tout droit de l’univers industriel. Désormais, techniquement, une lame peut se distinguer en trois, voire quatre catégories, en tenant compte de la lame chrome vanadium, autrement dit la lame basique avec corps en acier comportant des dents en découpe, aujourd’hui marginalisée et réservée aux seules scies à bûches.
De nouvelles plaquettes
Depuis bon nombre d’années, l’essentiel des ventes se concentre sur la lame à tête carbure tungstène. Autrement dit, des pastilles de carbure sont brasées sur le corps acier de la lame en bout de denture, parfois collées pour les productions jouant sur les prix. Les qualités de carbure peuvent également varier. Si Freud se présente comme le seul fabricant de lames à produire ses propres poudres de carbure (à partir de cobalt, de titane, de tungstène), les marques européennes utilisent en moyenne des plaquettes carbure dont les épaisseurs se situent aux alentours de 1,5 à 3 mm d’épaisseur, gage de précision et de résistance par rapport à des plaquettes de volumes plus réduits. Néanmoins, les industriels développent également des plaquettes carbure composées de poudre de carbure à grains extrêmement fins (moins de un micron). Ce carbure compact et très dense confère aux dents une grande dureté, réduit l’usure du taillant et améliore considérablement la qualité de coupe pendant toute la durée de vie de la lame.
Des lames dotées de plaquettes céramique métal commencent également à apparaître dans les gammes, destinées notamment à la découpe de bois, Pvc, alu, métaux ferreux. Malgré un prix public plus élevé, de l’ordre de 200 euros, ces lames constituent toutefois une alternative économique pour ceux qui rencontrent régulièrement sur un chantier différents matériaux, leur évitant de multiplier leurs équipements.
Dans le haut de gamme, les dentures tendent à s’équiper de pastilles en plaquettes de diamant (PCD). Disponible précédemment exclusivement dans l’univers industriel à des niveaux de prix très élevés (1 000 à 1 500 euros l’unité), cette technologie se démocratise actuellement pour équiper les lames commercialisées par les distributeurs. Elle affiche alors des prix de 400 ou 500 euros (après le jeu des offres promotionnelles) mais exige de la part des revendeurs un savoir-faire spécifique, ne serait-ce que sur le plan du SAV. Conçue à la base pour le bois, cette plaquette très dure peut ainsi convenir pour les matériaux très abrasifs comme le Corian. Comme les dentures carbure de haute technicité ou céramique métal, si elle est utilisée pour le bois, la lame diamant bénéficie alors d’une grande durée de vie.
Silence, ça coupe
L’autre grande évolution de ce marché, similaire cette fois à celle des disques diamants, concerne l’essor de nouveaux concepts de lames silencieuses, permettant de réduire le bruit lié à la vitesse de rotation de l’outil et sa résonance. Devenues un classique sur le marché européen, les lames dotées de découpes laser ou fentes de dilatation semblent toutefois avoir eu quelque mal à pénétrer le marché français. Au point d’ailleurs que pour mieux séduire nos compatriotes, les industriels associent parfois à cette technique d’autres technologies présentant divers atouts complémentaires. Ainsi, certains fabricants ajoutent des fentes supplémentaires remplies de polyuréthane qui permettent de mieux absorber les vibrations ou jouent encore sur des corps acier de différentes épaisseurs pour réduire à la fois les vibrations et le risque de déformations de la lame.
Sur les lames haut de gamme, toujours pour limiter les vibrations, les rivets de cuivre, fort prisés dans le passé, reviennent également au goût du jour. Des traitements de surface sont par ailleurs opérés pour améliorer le confort d’utilisation : traitement au nitrite d’aluminium pour durcir les lames destinés à la coupe d’acier et d’inox et leur permettre de mieux résister à la déformation, revêtements type téflon ou chromé pour assurer une bonne lubrification de la lame et réduire l’adhérence des résidus de coupe (résine, colle) sur la lame et la denture... Ceci contribue à rallonger la durée de vie de la lame, les frottements lors du sciage et l’échauffement de la lame étant réduits. Ces traitements présentent également l’atout indéniable de bien différencier la lame en la colorant et de mettre ainsi en avant son caractère innovant. Reste que sur ce marché empreint de tradition, l’innovation a d’autant plus de mal à pénétrer les esprits que la qualité d’une lame se perçoit surtout dans la durée et rarement à l’œil nu ni même au gré d’une démonstration sur le point de vente. Alors, pour valoriser les lames, les marques n’hésitent pas à traduire immédiatement le bénéfice pour le professionnel : une lame haut de gamme par exemple, c’est un affûtage pour plusieurs centaines de coupe...